dimanche 15 novembre 2009

Invitation : Jean-Philippe Huelin

A l’occasion de la sortie de son livre, Recherche le peuple désespérément (Bourin éditeur), coécrit avec Gaël Brustier, le Cercle Jean-Jaurès recevra Jean-Philippe Huelin.

Il viendra nous présenter les principaux enseignements de leur enquête à travers cette France populaire, périphérique et trop souvent délaissée par les politiques comme par les médias. Aussi notre thématique pour cette soirée sera la suivante : « Reconquérir les couches populaires, une nécessité pour la gauche »

Cette conférence aura lieu le : Mercredi 2 décembre 2009 à 20h au Centre social de Lons-le-Saunier

A la fin de celle-ci, Jean-Philippe Huelin dédicacera son livre qui sera en vente au prix de 17 €.

Dossier « Reconquérir les couches populaires, une nécessité pour la gauche »

Pour avoir un avant-goût de la conférence du 2 décembre prochain, voici une liste de liens qui éclairent le propos du livre de Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, "Recherche le peuple désespérément" (Bourin éditeur).

Recension du livre :
http://www.marianne2.fr/A-lire-sans-faute-Recherche-peuple-desesperement_a182413.html
http://www.lepost.fr/article/2009/10/31/1768226_encore-un-livre-sur-le-ps-qui-va-faire-peur-a-valls-et-hamon.html

http://www.ufal.info/media_flash/,article,719,,,,,_Recherche-le-peuple-desesperement.htm
http://www.nonfiction.fr/article-2865-a_la_recherche_du_peuple_perdu.htm

Tribune
http://www.humanite.fr/2009-10-29_Idees-Tribune-libre-Histoire_Construire-une-nouvelle-alliance-avec-les

Entretien
http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/recherche-le-peuple-desesperement-entretien-avec-les-auteurs/1150

Sur le déclassement, une des thématiques du livre :
http://www.rue89.com/2009/11/13/la-peur-du-declassement-un-decor-qui-cache-la-rupture-sociale-125836
http://jphuelin.blogspot.com/2009/11/la-peur-du-declassementet-loubli-du.html

Compte-rendu de la conférence de Nicolas Renahy

Les transformations sociales et politiques récentes du monde rural

Le titre de cette conférence est une gageure. En effet, il conviendrait mieux de parler des mondes ruraux tant le « rural » est hétérogène. J’ai moi-même travaillé sur un monde rural, celui de « Foulange », dans le sud de la Côte d’or (voir Les Gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale). Je serai donc très prudent face à toute généralisation.
Par ailleurs, il faut bien faire la différence entre rural et agricole, notions trop souvent confondues. Il ne reste plus que 8 à 10 % de la population rurale qui travaille dans l’agriculture. De plus, fidèle à ma formation auprès de Stéphane Beaud et Michel Pialoux, c’est en fait le monde ouvrier à la campagne qui m’intéresse particulièrement, ce petit monde ouvrier et rural dont on ne parle plus guère.

1. Contexte de l’étude

Je suis un sociologue de terrain, un ethnographe qui étudie la réalité au plus près pour mieux l’analyser. Mon enquête a ainsi duré de 1993 à 2004, dans cette ville que j’appelle Foulange dans le livre, un gros bourg qui a longtemps vécu essentiellement d’une mono-industrie fabriquant des cuisinières. Cette activité a fermé en deux temps (1972 puis 1981) avant que le site soit réinvesti par deux PME.
Je me suis intéressé surtout à la jeunesse de ce bourg, une jeunesse ouvrière et rurale qui semble ne pas exister puisqu’on ne parle que de la jeunesse des banlieues qui a au moins pour elle la force d’identification à une « culture jeune », ce que n’ont absolument pas les jeunes de Foulange. Mon idée générale est de montrer que la fermeture de l’usine a démonétisé le réseau d’interconnaissance dont ils bénéficiaient pour entrer dans l’usine et donc dans une certaine indépendance. Ils ont perdu leur « capital d’autochtonie ».


2. La génération des parents

Leurs parents n’ont pas bénéficié de la démocratisation scolaire, ils avaient une formation sur le tas grâce à des embauches à l’usine qui leur met le pied à l’étrier. Cette entrée précoce dans la vie active leur permet une indépendance financière avec une mise en ménage et l’arrivée du premier enfant entre 18 et 22 ans. Il est alors important d’avoir son pavillon, où les hommes bricolent le week-end.
Ils avaient en héritage un paternalisme industriel qui a permis de stabiliser la main d’œuvre et de permettre aux plus méritants une ascension sociale localisée. Le modèle, qui ne concerne qu’une minorité mais qui existe et donne de l’espérance aux autres, est le suivant :
La 1ère génération sert le patron
La 2ème génération s’en sert
La 3ème génération s’en sort
De plus, ces ouvriers ruraux profitent de l’encadrement associatif d’ « alliés de classe » (instituteurs, éducateurs…).

3. La jeunesse rurale

J’ai moi-même un capital d’autochtonie dans ce bourg avant l’enquête. Au cours de celle-ci, j’ai été saisonnier dans l’usine et licencié du club de foot. Mon propos peut donc paraître un peu daté puisque je parlerai d’une bande de jeunes des années 90.
Pour eux, l’usine est un repoussoir, la filiation ouvrière est rompue. Il y a en effet une forte opposition dans l’atelier de l’usine entre le groupe des jeunes et le groupe des vieux. Les jeunes refusent par exemple le port systématique du bleu alors que pour les vieux, c’est un signe de distinction ouvrière très important.
Ces jeunes refusent par ailleurs tout militantisme. Dans l’usine, la CGT est délégitimée depuis la fermeture de 1981. Il leur est impossible de concevoir toute lutte collective. C’est le signe le plus manifeste de leur fragilisation sociale.
Dans le cercle familial, beaucoup étaient tout jeunes quand ils ont vu pour la première fois leurs pères au chômage. Ils ont de plus connu une Ecole qui dévalorisait les filières techniques. Ils sont aussi dépendants beaucoup plus longtemps de leurs parents chez qui ils vivent encore souvent après 25 ans, la marché de l’immobilier local étant en pénurie.
Les copains sont donc le dernier moyen de gagner une certaine estime de soi. Ces copains que l’on fréquente au foot participent également de cette reconnaissance sociale. La descente dans une division inférieure est très mal vécue par les jeunes du village qui côtoyaient auparavant des équipes de plus grandes villes. Ils vivent cette descente comme une « désingularisation » : « On est comme les autres maintenant. » Ils ont vécu la fin de la symbiose entre le village et le marché du travail. C’est cela la perte d’autochtonie.

Les questions abordées dans le débat avec la salle ont été :

• Cette jeunesse de Foulange est une jeunesse ouvrière pas du tout agricole. L’étude de cette jeunesse-là reste à faire comme l’étude de la jeunesse aristocratique à l’autre bout de l’échelle sociale.
• Sur la violence, on peut dire qu’il y a encore vingt ans, la force villageoise pesait sur l’honorabilité. Alors que cette violence publique est aujourd’hui plus réprimée, il y a chez les jeunes un recours aux drogues qui augmente encore le conflit entre générations.
• Quel avenir politique pour cette jeunesse ?
Il ya un profond rejet du personnel politique mais demeure une certaine conscience de classe : « on en bave » disent-ils souvent. Le problème est qu’ils ne se sentent représentés par aucune force politique. Aux élections, ils se réfugient souvent dans l’abstention. Ils ont de plus un profond mépris pour le personnel politique local qui n’a plus aucune marge de manœuvre économique pour leur trouver du travail.
• Quelle politique rurale ?
Il y avait dans les années 70 des structures d’encadrement de la jeunesse qui sont aujourd’hui en sévère perte de vitesse. Ce n’est pas tant un problème rural/urbain que la fin d’une politique pour la jeunesse.
• On leur a refusé une certaine reproduction sociale (« faire comme les parents »). Il y a ainsi une grave rupture dans la transmission des savoir-faire.