vendredi 11 décembre 2009

Compte-rendu de la conférence de Jean-Philippe Huelin

Reconquérir les couches populaires, une nécessité pour la gauche

Un grand merci d’abord aux participants à cette conférence : vous êtes les fidèles et je suis particulièrement fier de vous présenter le fruit de mon travail. Merci également à Yves Ayats, trésorier du Cercle et à Gaël Brustier, mon ami, que vous connaissez puisqu’il a déjà été notre invité et qui est le coauteur de « Recherche le peuple désespérément ».

L’objectif de ce livre est simple et modeste : faire le bilan de santé des couches populaires en France après plus de vingt ans de néolibéralisme. Pour ce faire, il faut dans un premier temps se départir d’un mythe : celui de sa disparition dans une vaste classe moyenne. Ce mythe entretenu par droite et gauche depuis que VGE a théorisé l’accession à cette classe de « Deux Français sur trois », a définitivement vécu.

Ce peuple constitué d’employés et d’ouvriers compte toujours pour 60% de la population active. Politiquement, il a fait la décision pour le « non » au TCE en 2005 et l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007. C’est cet apparent paradoxe que nous avons voulu éclaircir en essayant de redonner à ces couches populaires une conscience de son existence et aux dirigeants politiques, surtout pour ceux de gauche puisqu’ils prétendent les défendre, une boussole sociologique. Aussi notre étude est à la fois sociologique et géographique.

1.Les ravages de la globalisation sur les couches populaires

En plus de l’augmentation du chômage, d’autres éléments démontrent le creusement des fractures sociales en France :
• La montée des inégalités en matière de revenus et de patrimoine.
• La stagnation des salaires depuis le milieu des années 1990. Quelques chiffres édifiants : le salaire net moyen d’un ouvrier est aujourd’hui de 1000 euros, il est de 900 euros pour un employé et de 650 euros pour un salarié à temps partiel.
• La baisse du rôle redistributeur de l’Etat est pour l’instant compensée par une redistribution de la richesse entre générations. Les ainés financent les plus jeunes mais cet équilibre précaire ne peut être que temporaire.
• Le drame des personnes touchant des petites retraites avec l’augmentation des suicides chez les personnes âgées.
• La pénibilité du travail, rendue médiatique par les suicides de cadres chez Renault ou France Télécom, est subie par tous. Le nouveau productivisme de l’après 35 heures est une calamité pour le monde du travail avec l’augmentation des troubles musculo-squelettiques.
• La précarisation des contrats de travail explose : +60% pour les CDD, +65% pour les stages et les emplois aidés, +130% pour les intérims.
Comment ne pas voir que les perdants de la mondialisation néolibérale sont de plus en plus nombreux et que le déclassement, cette incapacité à maintenir la position sociale des ascendants, est une réalité tragique de notre temps.

2.Une nouvelle géographie sociale et politique

a)Un monde vu des centres-villes

La hausse du prix de l’immobilier est une donnée fondamentale. Elle témoigne de la volonté de repli des élites sur elle-même dans des centres-villes douillets qui sont devenus de véritables ghettos de riches.

Or le monde d’aujourd’hui est analysé, est vu depuis ces endroits privilégiés. Ainsi, les élites réduisent par exemple le débat sur la pauvreté à celui sur les exclus et les SDF, celui sur la relégation sociale à celui sur les banlieues.

Ce processus de gentrification des centres est loin d’être une chimère. A Paris, les couches populaires qui représentaient 65% de la population en 1954 ne représentent plus que 35% des Parisiens de l’âge Delanoë.

b)La France périphérique oubliée

Cette France périphérique est constituée de l’espace périurbain et du monde rural. Il regroupe une très forte majorité de la France ouvrière. On comprend ainsi mieux pourquoi les élites urbaines ont une vision post-industrielle de la société française : ils ne voient tout simplement plus d’ouvriers !

Depuis le XIXe siècle, la gauche a un problème avec le monde pavillonnaire, or la volonté d’acquérir un pavillon est plébiscitée par les Français. Ne sachant penser un individualisme populaire, la gauche a laissé le terrain libre au candidat Sarkozy en 2007. Ce processus de périurbanisation s’est donc développé sans elle : cela concerne dans les années 60 très majoritairement les classes moyennes avant que les classes plus populaires se ruent vers cet espace périurbain dans un contexte d’augmentation du prix de l’immobilier dans les villes-centres. La précarisation économique de ces populations s’est accompagnée d’une certaine « droitisation » de l’électorat périurbain, comme si cette France des « petits moyens » voyait les barres et les tours des grands ensembles (dont elle est partie à grand peine ou qu’elle craint) se rapprocher de ces pavillons-refuges.

Le monde rural ne doit pas se résumer au monde agricole. Notons qu’il y a 35% de la population active de l’espace rural qui est ouvrière pour seulement 8% qui travaille dans l’agriculture. Cet espace est d’autant plus important aujourd’hui que nous sommes passés de l’exode rural à l’exode urbain. Loin de l’image d’Epinal de néo-ruraux friqués qui voudraient redécouvrir leurs « racines paysannes », les nouveaux arrivants le sont majoritairement malgré eux : cet espace devenant le seul à offrir des prix décents pour se loger.

Conclusion

Pour retrouver le peuple, la gauche doit apprendre à savoir qui il est, où et comment il vit. La mondialisation néolibérale a grandement fragilisée cette France périphérique, refuge des couches populaires. Il y a donc dans notre pays une base sociologique populaire, précarisée et déclassée qui attend des réponses de la gauche. Nous devons construire une coalition sociale majoritaire qui donne aux forces progressistes et populaires les moyens de revenir au pouvoir dans la durée, seule façon de véritablement transformer la donne.

Débat avec la salle :

• Il est clair que la « conscience de soi » populaire a été rognée depuis une trentaine d’années. La fin des citadelles ouvrières, le mythe de la classe moyenne, le consumérisme… tout cela a balayé cette « unité de classe » qui était le principal socle du vote communiste. Aujourd’hui, c’est autour de l’analyse des ravages de la globalisation sur des pans entiers de notre société qu’il faut rebâtir une conscience collective populaire.
• Le monde rural est un espace qui s’est fragilisé et a perdu en visibilité médiatique. Il n’est plus l’humus de la vigueur nationale. Il apparaît comme un espace résiduel, un espace ludique pour citadins en goguette. Alors que se population augmente, son développement n’est possible qu’à condition que les péréquations financières entre ville et campagne demeurent voire qu’elles soient plus favorables au monde rural. Ce ne semble pas être le sens pris par les réformes gouvernementales…
• Le bilan des 35h est clairement négatif pour les couches populaires : stagnation des salaires, dégradation des conditions de travail, augmentation des souffrances et des accidents au travail. Il y a un nouveau productivisme post-35h en France qui est plus qu’un effet pervers de la réforme Aubry.
• Je pense que la décroissance doit être populaire au sens où elle n’est pas du tout en contradiction avec une vie meilleure pour les couches populaires. Ce n’est pas une lubie de bobos qui ignoreraient le chômage pour reprendre une vision sarkozyste ! Au « toujours plus », il faut substituer le « toujours mieux » ! Cela peut effectivement passer par la gratuité pour les services publics de base (élargie…) et par un mode de vie qui redonnerait toute sa place à la vertu toute révolutionnaire de frugalité.
• Pour donner un tour plus concret à nos échanges, il y a, à mon sens, cinq points qui devraient se trouver dans un programme présidentiel qui voudrait retrouver le peuple :
- La frugalité de tous contre l’orgie néolibérale réservée à quelques uns.
- Le salaire maximum comme déclinaison radicale de cette volonté.
- Le bouclier rural pour protéger l’égalité républicaine entre les territoires.
- Le protectionnisme européen pour éviter la désindustrialisation totale de notre pays et de notre continent.
- Le retour à l’égalité comme vecteur de l’émancipation sociale.